jeudi 11 juillet 2013

"Man of Steel" - ni pour ni contre... (5ème et dernière partie)


A visuel extrême, musique extrême donc. Extrêmement simpliste et extrêmement bruyante. Superman ne se trouve que rarement illustré par un thème musical rigoureux, mais bien souvent par des suites d'accords minimalistes et de brèves séries de notes organisées de façon à créer une véritable impression de vibration, de grondement et d'élévation. La musique de Man of Steel, c'est d'abord le coeur de Kal-El qui bat à 100 à l'heure, sa vitesse vertigineuse qui provoque des dépressions dans l'air et fait trembler la terre, la chaleur ensoleillée qui suinte de tous les plans, parfois sous forme de "lens flares" qui n'ont donné lieu, le plus souvent, qu'à des comparaisons fort mal venues avec le cinéma de J.J. Abrams (lequel a fait de ce genre d'effet l'une de ses petites signatures photographiques) alors qu'il suffisait de chercher dans les thèmes centraux du film lui-même ! Voilà pour la musique. Elle est d'abord tout cela... et aussi les montagnes de gravats résultant de tout ce que Superman risque de percuter sur son passage !
Zimmer affirme ici la parenté Jor-El / Kal-El en créant les motifs musicaux accompagnant le superhéros comme des variations solaires de ceux, plus empreints de fatalité, qui venaient se plaquer sur les pirouettes incroyables de Russell Crowe dans les paysages kryptoniens.
Mais contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, il n'y a pas grand chose de martial dans les percussions et les ascensions cuivrées de Zimmer, quand bien même elles se retrouvent parfois mêlées aux manières militaires du général Zod et de ses guerriers. Beaucoup plus martiale, en tout cas, était la marche composée par John Williams - qui pourtant ne soulignait pas cet aspect en priorité... Non, chez Zimmer il s'agit bien d'un flux énergétique constant et indestructible qui enfle de plus en plus sans jamais éclater - et finalement le rythme obsessionnel répété presque en boucle par les percussions, qui emporte les moments les plus fulgurants de la musique, tient moins de la fanfare belliqueuse que du très gaélique et festif Dark Moon, High Tide utilisé dans le Gangs of New York de Martin Scorsese.
A l'atmosphère proprement mythologique Kal-El/Jor-El, pleine de bruit et de fureur, s'oppose naturellement celle de la trinité Clark/Martha/Jonathan Kent. Le versant naturaliste pour lequel opte Snyder (on est parfois proche d'une esthétique contemplative à la Terrence Malick) inspire à Zimmer des tonalités tout aussi chaudes mais évidemment plus calmes, et surtout plus proche des racines terriennes (dans tous les sens du terme) du héros. S'il est un message à tirer de la destruction acharnée et systématique de Métropolis dans la dernière partie du film, c'est peut-être tout simplement celui d'un renoncement catégorique à la grande cité au profit de la campagne (même si Smallville n'en sort pas exactement indemne, mais on admettra que la simple omniprésence de la petite bourgade pendant toute la durée du film jusqu'à son dénouement parle d'elle-même). C'est en tout cas ce que semblent indiquer les préférences de Snyder, son manque d'intérêt assez net pour les personnages citadins de l'histoire, et c'est clairement ce que traduit Zimmer dans les morceaux les plus "humains" de sa partition. Sans aller jusqu'à rattraper complètement le folklore country ou la musique US contemporaine (l'injection assez inattendue de la chanson Seasons, interprétée par Chris Cornell, remplit parfaitement ce rôle à elle seule), le compositeur s'amuse à distiller du piano et de la pedal steel guitar au creux de nappes évanescentes qui commentent la caresse du vent sur les vêtements étendus dans le jardin, celle des rayons du soleil sur les ailes d'un papillon, celle de la main d'un père et d'une mère dans la chevelure de leur enfant, dans un climat qui n'est pas sans rappeler les morceaux les plus planants du Pink Floyd des seventies...


VII - "This... is... KRYPTOOOOON !!!"
L'une des erreurs les plus répandues depuis 300, à mon sens, est celle qui consiste à faire de Zack Snyder un cinéaste politique. Sans doute, il tend le bâton pour se faire battre. Néanmoins c'est-là une vision très limitée de son travail - vision dans laquelle on aurait d'ailleurs bien du mal à faire entrer Sucker Punch, peut-être son film le plus intime ; celui où il se dévoile le plus sous le pseudo-féminisme de façade qui dissimule (mal) une vision du monde totalement masculine.
Une volée de bois vert sur 300 nous a fait savoir, sans rougir, qu'il s'agissait là d'une vision raciste et patriotique de l'Amérique conquérante. Hum. Pas le moment de développer ça - encore faudrait-il que ça le mérite. Watchmen aurait du faire taire ce troupeau de moutons hostiles qui reproduisait à l'envi la même analyse boiteuse sans forcément la comprendre. Mais on a préféré dire, de la façon la plus arbitraire qui soit - et toujours sans rougir !! -, que le discours idéologique douteux de Snyder s'accordait avec celui du très controversé Frank Miller (auteur de la bande dessinée 300), et pas du tout avec l'humanisme cynique d'Alan Moore qu'il n'avait fait que recracher en le dévitalisant. Ne cherchez pas. Ca se "sentait"... Hum. On ne développera pas non plus - ou alors un autre jour, quand on en aura la patience...
Sans tourner autour du pot, contentons-nous d'observer que Snyder est un amoureux de comics et de mythologie, d'esthétique iconique et de lyrisme au premier degré. Il aspire à transformer chacun de ses sujets en mythe classique. Facile pour 300 : tout est dans le matériau original. Plus casse-gueule pour Watchmen : Snyder croyait tellement au tourment intérieur d'Adrian Veidt/Ozymandias qu'il en a complètement oublié de rendre le physique du personnage aussi lumineux que son âme était sombre... Man of Steel donne une nouvelle clé à la logique qui pave le chemin du cinéaste : le général Zod. Spartiate en puissance dans la nouvelle mythologie kryptonienne, noble de caractère, eugéniste, décomplexé dans sa violence, il est ni plus ni moins qu'un Léonidas de science-fiction.


Cette troublante parenté entre le premier héros snyderien (symbole, si l'on en croit les attaques les plus virulentes, de cette fameuse Amérique triomphante, raciste et patriotique) et le méchant de son dernier film a de quoi laisser rêveur...! Mêmes échelles de plan, même direction d'acteur outrancière, traitement voisin pour la caractérisation... Alors, que devient la brillante analyse anti-300 qui donne à voir le réalisateur comme un néo-fasciste en puissance ? Les frontières se brouillent. Et si - pour changer ! - les bien-pensants avaient tout simplement mal digéré que dans le péplum délirant qui a contribué à le révéler pour de bon, Zack Snyder se soit intéressé à un personnage pas forcément tout rose ? Qu'il ait fait l'effort de comprendre ce personnage et d'en exposer l'idéal et l'éventuelle beauté - comme il allait le faire ensuite pour chacun des personnage de Watchmen, aussi dissemblables soient-ils ? Et si le général Zod lui-même n'était pas qu'un "méchant" sans foi ni loi, mais un individu doté de sa propre morale, de ses propres idéaux et qui peut-être, simplement, se trompe...?
Il faut se rendre à l'évidence : un type comme Snyder raisonne bien au-delà de la simple idéologie de son époque. Ses obsessions sont individualistes. Ses personnages suivent des parcours intimes et expriment plus des combats personnels que des courants de pensée génériques, sur lesquels les spectateurs férus de géopolitique mais peu enclins à réfléchir sur une esthétique ou une philosophie particulières aiment bien se reposer. L'analogie Zod/Léonidas prouve avec panache que Snyder n'est pas plus pro-Léonidas que pro-Zod ; c'est précisément ça qui lui permet d'adapter des bandes dessinées aux idéologies si différentes, voire antagonistes, que 300 et Watchmen : cette capacité à filtrer le discours politique pour l'élever vers des humaines bien plus universelles et à l'épreuve de leur époque.
Il existe toutefois une lecture politique possible de Man of Steel, qui fera à nouveau le bonheur des détracteurs de Snyder. Sauf qu'elle est sans doute imputable au couple de scénaristes Nolan-Goyer, plus intéressés par ce genre de perspectives comme en témoignent leurs "Batman". Dans le contexte actuel, Man of Steel peut en effet opposer deux idéologies contraires dont les frictions ne cessent d'être montées en épingle dans l'actualité : d'un côté le libertarisme occidental incarné par l'Amérique profonde et la culture particulière du Kansas où grandit Clark Kent. Il rejoint les idéaux de Jor-El sur la liberté des êtres à se déterminer eux-mêmes et, éventuellement, à transcender le "programme" de leur existence. Il s'incarne dans la figure du Christ personnifié par Superman. De l'autre côté, s'oppose à cette vision l'eugénisme spartiate de Zod, dont le mix de références antiques et contemporaines illustre une certaine pensée orientale (asiatique surtout) qui vise à faire de chaque citoyen le rouage parfait d'une gigantesque mécanique nationale qui prévaut sur tout le reste : on aura reconnu la grande "menace fantôme" qu'inspirent actuellement aux cultures occidentales des pays comme la Chine ou la Corée.
On aura tôt fait de taxer le film de propagande ricaine sur cette simple base. C'est vendre bien vite la peau de l'ours si l'on songe que Snyder, toujours prompt à jouer le contre-pied, traitera certainement dans son prochain opus le splendide personnage de Lex Luthor... et lors ne s'attaquera plus aux limites de la liberté individuelle dans la culture asiatique, mais livrera forcément une critique du capitalisme proprement américain !


Voilà quelques unes des choses qui me trottent dans la tête depuis que je suis allé voir Man of Steel. Je n'en ai pas mentionné le quart, et tout cela est très "brouillon"... Tant pis. J'ai fait de mon mieux. Le film de Snyder est un peu ce que j'en ai dit. Mais bien entendu, ce n'est pas non plus que cela...

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